JMG Le Clézio, naïf, trop naïf devant la Chine

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Les racines si vivantes de Le Clézio - La Libre

Pour les fêtes de Noël 2020-2021, les libraires présentent le dernier livre de Le Clézio : Le flot de la poésie continuera de couler. Une médiatisation ordinaire avec des articles de presse et un passage obligé dans l'émission La Grande Librairie. Un chemin classique pour remporter des ventes de l'ouvrage consacré à la poésie chinoise de la dynastie des Tang. Avec la collaboration de son ami chinois le traducteur Dong Quiang, En 2019, Le Clézio avait publié Quinze causeries en Chine. Aventure poétique et échanges littéraires, un ouvrage préfacé par son amis chinois Xu Jun. Dans cet ouvrage, Le Clézio tente de justifier en multipliant les ouvertures, sa relation avec la Chine.

Le Clézio, traducteur du chinois en français (la traduction est une activité importante chez Le Clézio dont le goût pour l'aventure intellectuelle l'a amené à vouloir percer le mystère de certains grands textes, trésors des civilisations), propose un florilège de quelques chants poétiques traditionnels. La poésie chinoise ancienne, un grand classique de la civilisation chinoise, associée à l'art de la calligraphie et la pensée philosophique du taoïsme : Le Clézio est tombé dans le piège chinois.

Comme l'avait fait dans les années 1960-1976, Sollers. La Chine comme l'antithèse de l'Occident, qui se pare de soie et de porcelaines veille depuis des millénaires à "son image". Chaque génération d'intellectuels produit sa lignée de penseurs naïfs. L'une des mes amies chinoises me disait récemment qu'il y a un petit cercle de professeurs d'université en Chine qui entourent l'écrivain français. On l'invite à prononcer des cours sur la littérature française dans les amphithéâtres, on satisfait sa curiosité et on l'emmène en voyage à travers la Chine.  Oui c'est beau. Je suis sûre qu'il y a mille beautés à voir en Chine. Mais comme en 1974, lorsque Sollers, Kristeva, Pleynet et Barthes sont partis en Chine en pleine révolution culturelle, on les a "promenés" entre les sites touristiques, les hôtels, les restaurants et les usines. On les surveillait de près, on ne répondait pas à leurs questions. En fin de compte, les Chinois ne leur ont pas montré les terribles camps de rééducation. En revanche devant les usines les ouvriers devaient les applaudir et réciter des balivernes à la gloire du Grand Timonier : la Chine de Mao était si belle ! A leur retour, les voyageurs se sont montrés discrets. Vivement critiqués pour être allés en Chine alors que les Français venaient de lire L' Archipel du goulag de Soljenitsyne (1974), Sollers et ses amis étaient forcément déçus à leur retour de Chine. Mais ils n'ont pas osé avouer leur déception. 

Depuis que Xi Jinping (1953-) est devenu le nouvel empereur communiste chinois, la politique de communication chinoise ne change pas. Il s'agit d'attirer les intellectuels afin que ces derniers renvoient les images de la si belle Chine, la Chine radieuse, disait Mao. 

Dans son livre, Le Clézio s'applique à traduire son émerveillement pour des poèmes chinois. Jusque là rien à redire. Le titre du livre Le flot de la poésie continuera de couler est un emprunt à l'épitaphe qui figure sur le tombeau de l'un des célèbres poètes chinois, Li Bai décédé en 762. Alors Le Clézio raconte une légende, comme il sait si bien en raconter :  « La mort frappe le grand Li Bai en l’an 762, à l’âge de soixante et un ans, quelque part sur la route du Sud. (…) le poète, pris de boisson, aurait plongé dans un fleuve attiré par le reflet de la lune – cette même lune à laquelle il avait été dédié par sa mère à sa naissance –, par les mêmes qualités de blancheur et de pureté. On ignore où sa dépouille fut inhumée, mais on sait que le fils de son ami Fan Chuanzheng fut chargé par les enfants de Li Bai de translater ses ossements dans un tombeau construit sur le flanc nord du mont Qingshan, à côté du tombeau de Xie Tiao, avec qui il aurait souhaité faire l’ascension de la montagne. C’est le même Fan Chuanzheng, poète lui aussi, qui fut chargé de rédiger l’épitaphe inscrite sur la tombe. » (page 32). La légende justitife-t-elle à elle seule la publication de ce dernier opus ?

Dans les circonstances actuelles où la Chine communiste combat la démocratie dans le petit territoire, naguère protégé de Hong Kong, où les peuples minoritaires doivent abandonner leur foi, leur langue, leurs traditions, en un mot leur patrimoine culturel, pour adhérer à ce processus de sinisation cher à Xi Jinping, où la dictature numérique contrôle à présent l'épidémie Covid 19, etc. (il y a tant de reproches à faire aux dictatures communistes), JMG Le Clézio, écrivain engagé pour la défense des droits humains en Occident, se montre tragiquement "naïf". Les écrivains portent des  responsabilité du fait même qu'ils écrivent librement : JMG Le Clézio ne peut pas dire aujourd'hui qu'il ne sait pas que la Chine est une dictature et que tous les Chinois vivent sous contrôle. Le sinologue suisse Jean-François Billeter écrit : "« Notre incompréhension vient aussi de ce que la plupart d’entre nous nous ignorons ce que c’est que de subir au jour le jour un pouvoir totalitaire. Qui n’en a pas l’expérience n’imagine pas cette privation de liberté." (Jean François Billeter : Pourquoi l’Europe, réflexions d’un sinologue, Editions Allia, 2020. P. 64)

Chantal Vieuille


 

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